Poser des limites éducatives : lesquelles sont nécessaires et justes ?

“Je cherche à poser des limites éducatives.”

“Je veux rester bienveillant avec mes enfants, tout en étant ferme lorsqu’ils dépassent les bornes.”

“Je ne sais pas dire Non quand il le faut.”

De nombreux parents (et adultes accompagnant les enfants) veulent donner des consignes claires et constructives. Ils souhaitent que les plus jeunes comprennent l’existence des conséquences naturelles/logiques, qu’ils voient les limites comme des repères utiles et les mémorisent grâce à une approche ludique.

Or, les adultes qui accompagnent les enfants dans un véritable respect y parviennent justement parce qu’ils ont remis en question ces notions clés.

Dans cet article, vous trouverez toutes les billes nécessaires à la prise de recul et à la maîtrise d’une intervention juste, au profit du respect mutuel et de l’autonomie des enfants 🙌.

Poser des limites constructives, avec bienveillance ; pourquoi ça ne fonctionne pas ?

Lorsqu’on cherche des manières douces et pédagogiques de fixer des limites aux enfants, on glisse en réalité en terrain dangereux : celui de la manipulation.

De la même manière que lorsqu’un parent cherche à se faire obéir sans crier, les intentions sont contradictoires, donc irréalisables :

  • d’un côté, on veut contrôler l’enfant, ses faits et gestes. On attend de lui qu’il nous écoute/obéisse, qu’il reste dans les bornes qu’on a posées pour lui, qu’il respecte les interdits qu’on a décidés, etc. Je rappelle que, de fait, tout cela est violent (définition du Robert : Faire violence à qqn : agir sur qqn ou le faire agir contre sa volonté, en employant la force ou l’intimidation).
  • et dans le même temps, pour amenuiser la force ou l’intimidation, pour avoir l’air moins brutal, on va chercher à envelopper ces restrictions de douceur et de bienveillance. L’image qui m’en vient, c’est la main de fer dans le gant de velours.

Méthode clairement pernicieuse puisqu’elle mène à la manipulation affective.

Le vice c’est que le parent usant d’astuces de parentalité “positive” à grand renfort de phrases toutes faites devient malhonnête alors qu’il est convaincu de bien faire.

Or en réalité, il glisse vers les mêmes schémas délétères qu’il voulait justement éviter en s’écartant d’une éducation à base de menaces, cris et punitions.

De plus, les combines visant à faire coopérer les plus jeunes ne tiennent pas compte des états dans l’instant, du parent et de l’enfant.

➡ Ainsi, de nombreux parents se retrouvent désenchantés de ces méthodes puisqu’elles “ne fonctionnent pas” : lorsqu’ils sont à bout de ressources, ils finissent par retomber dans les cris de plus en plus fréquemment. Ce qui est logique puisque l’intention sous-jacente n’a pas changée : on continue de chercher à faire faire à l’enfant ce qu’on a décidé pour lui, coûte que coûte.

Un très bon exemple de situation entre une maman du Cercle des Parents Apaisés et sa petite de 13 mois qui “ne l’écoute pas” :

Poser un cadre éducatif (dès tout-petit) ; un vrai non-besoin !

Vous l’avez probablement déjà vu/lu si vous me suivez depuis un certain temps et si ce n’est pas le cas je vous invite à vous attarder sur cette notion.

Lorsqu’on souhaite accompagner les enfants avec respect, tout en étant réaliste, le concept de cadre est absolument à remettre en question.

“Un enfant a besoin de repères pour bien grandir.”

“Sans autorité, les petits sont désorientés.”

“Les interdits apprennent à gérer leur frustration. »

“Poser un cadre garantit leur sécurité.”

“Il faut leur fixer des limites !”

Toutes ces prescriptions sont fausses.

Pire encore, ce sont des croyances limitantes puisqu’elles sont relayées sans arrêt par la société. Tout le monde les pense vraies sans les remettre en cause et l’on agit même (inconsciemment) de façon à prouver qu’elles sont avérées.

En réalité ;

  1. Les bornes à ne pas dépasser correspondent au seuil maximal de patience ou de tolérance de l’adulte. Au-delà, il n’a plus l’énergie suffisante pour répondre à l’ensemble des besoins de son enfant. D’où la phrase “Ma patience a des limites !”
  2. Fixer des règles et des interdits répond donc aux besoins de l’adulte avant tout, et non à ceux de l’enfant.
  3. Les limites ne sont pas “sécurisantes” pour les enfants, bien au contraire, c’est la confiance et l’affection qu’ils reçoivent de leurs parents qui leur permettent de se sentir en sécurité1.

Comme je le répète souvent, il est indispensable de questionner nos principes et nos comportements si l’on souhaite accompagner respectueusement les enfants. L’idée n’est pas de se culpabiliser, mais de prendre conscience de nos croyances et de comprendre en quoi elles sont potentiellement limitantes.

S’appuyer sur les conséquences logiques pour faire respecter les limites/interdits ; la solution idéale ?

L’idée d’utiliser les conséquences “naturelles”/logiques est de plus en plus répandue. Elle semble séduisante aux yeux des parents qui cherchent à remplacer les punitions.

Typiquement, plutôt que de réprimander le tout-petit qui vient de dessiner sur un meuble, on va lui faire nettoyer ses dégâts.

Et l’on va se justifier en disant “Je ne le punis pas, mais il faut bien qu’il comprenne que dans la vie, quand on agit mal, il y a des conséquences !”

Sauf que… Si l’on regarde la même scène du point de vue de l’enfant :

  1. Il est en pleine expression artistique (ou en plein débordement émotionnel),
  2. lui vient l’idée d’aller décorer (ou gribouiller de rage) cette belle façade de porte immaculée,
  3. arrive son parent lui tendant une éponge et lui invectivant de nettoyer (avec un langage non verbal probablement bien étrange).

Dans cet exemple, soit l’enfant est en pleine expérience satisfaisant un besoin et n’a aucune conscience de la notion de dégradation dans l’instant (et cela arrive même si on lui avait déjà expliqué), soit l’enfant est en pleine décharge émotionnelle donc pas plus à même d’entendre quelconque autre demande dans l’instant.

➡ En essayant de se mettre à la place de l’enfant, on parvient toujours mieux à saisir l’aberration de nos réactions.

S’appuyer sur des excuses telles que l’enseignement des “conséquences logiques” et l’apprentissage de la réparation n’est pas plus respectueux qu’utiliser des punitions.


De plus, c’est une pratique complètement inefficace :

  1. l’enfant est dans un état émotionnel (agréable ou désagréable) qui ne lui permet pas d’entendre quoi que ce soit dans l’instant,
  2. lui imposer de nettoyer ses dommages alors que cela ne répond à son besoin dans l’instant est violent,
  3. la réprobation sous-jacente, même si elle n’est pas clairement énoncée sera comprise par l’enfant et va l’enfermer dans une émotion toxique (il va refouler des sentiments de honte/soumission, peur, colère…)

➡ Les enfants sont dans l’expérimentation constante et ils font toujours du mieux qu’ils peuvent.

L’apprentissage des limites naturelles passe par l’expérience et l’exemple, pas par des pièges sciemment anticipés par les adultes dans le but de faire des leçons de morale.

Lorsqu’on garde à l’esprit qu’il n’y a rien de mal intentionné quand un enfant fait de la casse, abîme ou blesse, on peut l’accompagner à l’apprentissage de la réparation de la même manière que tout autre apprentissage : en tenant compte de son état, de ses besoins et en prêtant attention à la responsabilité de chacun dans la situation donnée.

Fixer des règles éducatives : attention aux malentendus !

Une autre solution souvent proposée aux parents qui souhaitent éduquer leurs enfants dans la bienveillance c’est d’énoncer une alternative aux actions indésirables.

Un exemple très répandu : “La main c’est pour caresser.”

Cette phrase “magique” est largement conseillée pour détourner l’enfant qui cherche à taper.

Or, si la démarche de proposer une alternative à cette action non souhaitable est une bonne idée a priori : attention à ce que l’alternative en question soit appropriée !

  1. Les enfants en bas âge sont mus par une logique psychomotrice du fait de leur immaturité cérébrale (je vois, je veux, je prends) et mettent ainsi rapidement leurs membres en mouvement, que ce soit pour s’exprimer ou pour remplir un besoin.
  2. Dire que les mains sont faites pour caresser c’est inciter à une interaction inappropriée au besoin dans l’instant. Quand un enfant bouscule un copain envahissant pour se créer de l’espace, il ne veut pas être dans l’interaction avec lui et encore moins dans les caresses.
  3. Une fois de plus, cela n’aide en rien l’enfant à identifier son besoin et à opter pour d’autres stratégies, alors que c’est précisément le rôle des adultes que d’accompagner les plus jeunes dans ces acquisitions.

Sans compter que nos mains ont de multiples fonctions. S’exprimer, créer, interagir et parfois même ; se protéger, faire bouclier aux agissements d’autrui lorsque notre intégrité n’est pas respectée. L’autodéfense est possible même lorsqu’on est contre la violence, mais rabâcher cette rengaine exclut cette option pour l’enfant.

➡ Notre rôle d’adulte est d’aider l’enfant à trouver des solutions adéquates pour apprendre à combler ses besoins de façon autonome. Si vous gardez à l’esprit qu’il existe de nombreuses stratégies pour remplir un même besoin, vous laisserez la porte ouverte à bien plus de possibilités.

Savoir dire “non”, pour ne pas tomber dans le laxisme

Peut-être qu’en me lisant vous vous dites “Mais alors, on laisse tout faire ? Il n’y a aucune limite avec toi ?” et vous avez peur de “tomber dans le laxisme”…

Évidemment, il y a des limites et que tout n’est pas faisable. À commencer par la gravité terrestre qui vous empêche de voler.

Il faut une bonne dose de laisser-faire pour permettre aux enfants de faire leurs expériences et se créer leurs propres référentiels.

Mais jusqu’où peut-on laisser faire ?

En accompagnement respectueux des enfants, on cherche à éviter 2 extrêmes :

  • celui qui consiste à contrôler à outrance, empêchant toute autonomisation de l’enfant,
  • celui qui consiste à ne jamais intervenir, soit par désintérêt total, soit par maladresse parce qu’on applique un mélange de recettes de parentalité sans queue ni tête.

➜ Une fois que l’on s’est débarrassé des croyances limitantes à propos des limites soi-disant “nécessaires à la construction psychoaffective”, il ne reste que 2 contextes dans lesquelles on ne peut pas laisser faire l’enfant :

  1. Le danger immédiat
  2. L’entrave au remplissage des besoins d’autrui

Dans l’une ou l’autre de ces situations, bien sûr qu’il faut intervenir et ne pas laisser un tel comportement se réaliser. Et il est tout à fait possible de stopper respectueusement une action dangereuse ou qui entrave les besoins d’autrui. (cf. : posture S.A.V.E.)

Le récap’

  1. Les enfants n’ont pas besoin de limites, mais d’une posture respectueuse de leur développement et de leurs capacités, nourrie par la confiance et l’amour inconditionnel. Ce sont ces derniers qui créent un sentiment de sécurité (et rien d’autre).
  2. Les enfants respectent les limites des autres quand ils le peuvent et s’ils sont habitués à être respectés eux-mêmes dans leurs propres limites.
  3. Lorsqu’on change de paradigme éducatif et qu’on se place dans une posture d’accompagnant de l’enfant sur le chemin qu’il choisit pour lui-même, on réfléchit en termes de remplissage des besoins et l’on adopte des attentes réalistes vis-à-vis des capacités de l’enfant.
  4. La notion d’interdit est questionnée, mais elle continue d’exister pour empêcher avec respect : – de se mettre en danger – d’entraver les besoins des autres
  5. Dans le cas où l’adulte doit user de sa force pour empêcher l’enfant d’agir, il doit en prendre la responsabilité et le verbaliser à l’enfant pour préserver la relation. Cela doit rester exceptionnel puisque ça n’apprend pas à l’enfant à faire autrement.

FAQ

🙏 Comment être ferme et bienveillant ?


Il n’y a pas lieu de chercher à être “ferme” avec les enfants : la bienveillance, ça marche, mais ça ne vise pas l’obéissance ! Veillez à ce que la liberté soit la règle et l’interdit, l’exception. Par exemple, lorsque 2 enfants jouent aux bâtons, si le jeu dégénère et il y a risque de blessure.⁣

– Si l’interdit est la règle, on interdit a priori aux enfants de jouer aux bâtons ☹️.
– Si l’interdit est l’exception, on rappelle les règles d’usage, on anticipe pour préserver la sécurité, on stoppe le jeu si ça devient dangereux ou si on n’est plus en mesure d’assurer la sécurité, on dit non à un tel jeu si, ce jour-là, on sait qu’on ne peut pas accompagner ✅.⁣

C’est ça aussi la parentalité réaliste : se laisser de la marge pour adopter une posture selon son niveau de ressources sans être dans l’application de principes théoriques.

🤔 À quel âge poser des limites ?


En réalité, il n’existe pas d’âge à partir duquel il faudrait inculquer des limites fictives aux enfants. Tout individu découvre les limites naturellement au cours de son développement, au travers des expériences qu’il fait. Bien évidemment, le rôle des adultes est de préserver la sécurité et l’intégrité des enfants en anticipant les dangers. Quant aux limites qu’on aurait tendance à vouloir poser, attention à bien les remettre en question, car la plupart du temps elles ne viennent qu’entraver le bon développement de l’enfant et dégrader les relations parents-enfants inutilement.

💥 Comment réagir face à un enfant qui dépasse les limites ?


Remettez en question la notion de limite pour vérifier si elle est légitime ou si au contraire elle entrave le respect de l’enfant. (cf. schéma ci-dessous)
– Prenez du recul sur les besoins de chacun pour voir plus clairement ce qui vous fait dire “Il/elle dépasse les limites !”.
– Trouvez une stratégie adéquate pour remplir les besoins de tous, en vous rappelant que seuls les adultes sont autonomes et pleinement responsables des besoins de chacun (imposer à un enfant de remplir vos besoins n’est pas respectueux) et qu’un enfant n’a pas autant de capacités qu’un adulte (par exemple pour différer son besoin à plus tard).
– Respirez profondément et demandez-vous si tout cela est si grave 🙃 ?

Notes

Maja Mijailovic – Accompagnante parentalité

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